to Jean-Philippe Cazier

à propos de Page Blanche Alger, Jean-Philippe Cazier, éditions Lanskine

Cher Jean-Philippe,

Page blanche Alger
Page
Blanche
Alger

Ce livre.
Il y aurait nos fantômes
Nos manques
Les mots partout d’un rêve impossible
a-t-il seulement eu lieu ? que reste-t-il encore de la possibilité de ces rêves intouchés ? de l’ombre de la mort ?

je voudrais pouvoir dire l’absence, la dire telle que tu la dis, toi, dans ces pages, ce livre.
Page blanche alger.
Il faudrait répéter ces mots, le vacarme de l’absence entre chaque mot pageblanchealger.

« Les mots du récit disent la lumière, les plages, la blancheur du sable et des maisons, fleurs blanches du jardin botanique du Hamma, blancheur du monde comme une page non écrite. Cette blancheur est le secret de ton récit – ce chant, cette psalmodie imprécise –, quelque chose que l’on ne comprend pas. »

Le silence. Et puis les regards.
« Sur un carnet, tu aurais écrit cette histoire. Tu aurais détruit ce carnet et personne n’aurait pu le lire, comme une exclusion de toute la littérature écrite. Tu y décrirais ton visage, le sien, le visage de Mohammed. A voix basse, tu lis ce visage, yeux immenses et bleus comme la mer. Ces mots, ce visage, ce regard derrière les paupières closes. Parfois, dans une phrase, tu l’embrasses. » Tu dis.

Le silence. Et puis.

Le désert des corps et des images, le théâtre de ce qui nous déserte plutôt. Je ne sais pas. Des noms habitent parfois des visages et des corps. Des noms qui nous transpercent, qui sont là dans la plus grande proximité, et le vide, l’étendue interminable du vide. Une page, blanche.
Une page blanche est une page. Je veux dire : elle n’est pas rien. Elle n’est pas l’absence. Elle est la matière déshabitée, rien ne s’efface mais rien n’est là sur la page qui dit : il n’y a plus qu’une page blanche qui dit, qui signifie : regardez, je vous en prie, le vide désormais. L’absence. Désormais.

« un récit sans narration, tu dis, un rythme comme le vent. »
Je voudrais dire le vent qui s’indistingue dans le vent. Comme une manière de faire l’amour. La matière des corps, l’entrelacement. Drap blanc Alger.

« Ce livre, tu dis, la prolifération d’un livre qui n’a pas été écrit, une trace (chemin, fissure) de ce surgissement, regard fixé sur ce visage déjà mort et qui ferait mourir qui le contemplerait. Ce visage : ensemble de points de suspension, matière informe toujours opaque, texte blanc demeuré blanc, la blancheur d’une page blanche. Ta voix en prononce les échos, articule l’air qu’il respire, le récit, l’écriture de cette voix, ce visage qu’elle dit, silencieuse. »

Je voudrais être un ensemble de points de suspension, Jean-Philippe, je voudrais être l’interminable série de points de suspension qu’aucune histoire n’arrête. La page blanche, ancrée dans la puissance de l’histoire et qui s’écrit à nouveau. Qui regarde la possibilité du lendemain droit dans la douceur d’un regard.

« Parfois, tu dis, il arrive que tu te souviennes. De lui, tu te souviens parce que, par exemple, tu le vois dans un rêve. Son image se forme au crépuscule, la nuit, dans un de tes rêves. Tu contemples son visage, son sourire, purs. Tu le trouves beau. « Il est splendide, n’est-ce pas ? » Tu voudrais le cacher quelque part dans l’obscurité de la nuit. Chaque fois que tu le vois, tu éprouves la certitude qu’il est inséparable de toi. Tu ne te souviens pas de son prénom. ‘Comment t’appelles-tu ?’ Tu ne sais plus. Tu rêves souvent de cette énigme. »

Je voudrais écrire la page blanche de l’énigme de mon prénom. Nous apprendre comment nous nous appelons.

Je t’embrasse,
r.